Extrait d'un article de Josiane Scoleri
L’œuvre d’Hervé Courtain
ou le jeu des autres
Et
pour que nous prenions encore davantage conscience de cette réalité,
Hervé Courtain a peint une série de crânes. A
priori, certains pourraient penser « Qu’est-ce qui
ressemble plus à un crâne qu’un autre crâne ? »
H. Courtain nous administre la preuve qu’il en est des crânes
comme des visages. Il y en a autant que de personnes. Chacun avec sa
personnalité. Et elle éclate clairement dans chaque
portrait. Comme avant, avant la mort.
Les
crânes peints par H Courtain proviennent de toutes les époques
de l’humanité, depuis les débuts de l’Homo
sapiens jusqu’à nos jours, et des quatre coins du monde.
L’humanité défile sous nous yeux dans des
couleurs éclatantes. Flanqué de noir, le noir
insondable du temps, chaque crâne, avec ou sans mandibule, nous
raconte une histoire et suscite l’imagination, tout autant,
sinon plus, que tous les visages du début du chronographe.
Le peintre a particulièrement soigné les fonds. Très colorés, voire mouvementés, en tout cas dynamiques, ces fonds contrastent à la fois avec le/s noir/s qui occupent invariablement les bords à droite et à gauche et avec les crânes, tout aussi peu ressemblants que les portraits par rapport au modèle, rayonnant pourtant d’une présence – et donc d’une humanité- qui nous irradient.
Le traitement des crânes eux-mêmes pourrait se décrire comme un classicisme de haute voltige. Classique par la figuration, mais avec une totale liberté d’exploration dans ses multiples variantes pouvant aller jusqu’à une extrême stylisation. Lorsqu’on contemple l’ensemble de cette impressionnante série, on est à la fois saisi d’admiration, mais aussi frappé d’une certaine stupeur devant la manière dont le peintre a réussi à se renouveler, crâne après crâne. Variations infinies sur un thème ardu, H. Courtain réussit magistralement, sans doute à force d’humilité devant son sujet, à éviter l’écueil du virtuosisme qui détruirait d’un coup toute la profondeur de sa recherche. Il nous montre en effet toute la diversité avec laquelle les sociétés humaines ont abordé la question au fil des millénaires : crânes déformés à la naissance en Amérique du Sud, en Égypte et ailleurs, crânes recouverts de terre et de peinture en Papouasie, pratique de la trépanation dès les temps les plus reculés, ésotérisme, approche scientifique de la paléontologie à la recherche des origines de l’espèce humaine, mysticisme… Le sujet occupe l’humanité depuis toujours.
Un mot encore sur la palette d’Hervé Courtain. Comment ne pas s’interroger sur cette détermination indéfectible à réduire sa palette et à s’y tenir depuis maintenant 6 ans ? Trois couleurs : Ocre jaune, Ocre rouge, Bleu ceruleum, auxquelles s’ajoutent le blanc titane et le noir d’ivoire. Trois couleurs ou comment faire plus avec moins, car à partir de là, Hervé Courtain décline les nuances à l’infini et fait chanter l’huile avec délicatesse. De toute évidence, le peintre se méfie des couleurs vives. Comme s’il avait peur qu’on ne voit qu’elles. Comme si elle pouvaient empêcher de voir…Sa palette n’est pas pour autant sombre ou éteinte. Elle est têtue. Elle finit par s’imposer à notre regard, elle nous sert de guide et nous force à voir la cohérence de l’œuvre. Elle va de pair avec la nécessité des séries.
Lorsqu’on interroge le peintre sur les raisons de ce parti pris, il répond invariablement : « les portraits du Fayoum ». C’est une réponse qu’il faut prendre au sérieux.
Les portraits du Fayoum remontent au 1er siècle après J-C. au moment où l’Égypte est déjà sous domination romaine. Placés en haut des sarcophages, ces portraits du défunt marquent un tournant dans l’art égyptien. Réalisés en tétrachromie (noir et blanc compris), ils représentent très certainement la synthèse la plus aboutie entre l’art égyptien, l’art grec et l’art romain. La délicatesse du trait de l’Égypte ancienne, l’exaltation de la beauté propre à la Grèce, la précision et la rigueur romaines.
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